What Obstacles Need to Be Overcome in Order to Optimize Performance and Develop Spplications for Biocomposites? Verrous à Dépasser pour Optimiser les Performances et Développer les Applications des Biocomposites ?

What Obstacles Need to Be Overcome in Order to Optimize Performance and Develop Spplications for Biocomposites?

Verrous à Dépasser pour Optimiser les Performances et Développer les Applications des Biocomposites ?

Christophe Baley

IRDL, Université de Bretagne-Sud, UMR CNRS 6027, BP 92116, F-56100 Lorient, France

Corresponding Author Email: 
Christophe.baley@univ-ubs.fr
Page: 
193-199
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DOI: 
https://doi.org/10.18280/rcma.290402
Received: 
7 October 2018
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Revised: 
29 December 2018
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Accepted: 
10 January 2019
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Available online: 
1 November 2019
| Citation

OPEN ACCESS

Topical Collection
Abstract: 

In the domain of composite materials with an organic matrix, the use of natural fibres is increasing. These materials are named here biocomposites. This type of reinforcement has specific properties such as a renewable origin, modest lengths depending on the variety, an assembly in the form of cohesive bundles within the plants, a complex composition and internal organisation near of a composite material. An elementary fibre is a laminate of walls and layers reinforced with cellulose fibrils oriented mainly in a direction called microfibrillar angle. Compared to synthetic fibres, "fibre manufacturing" is very different because it takes place during the growth of plants. Thus, many sectors are involved in the production cycle of a biocomposite structure such as: Agriculture, scutching, combing, textiles, polymers and composite manufacture. Based on their features, this article presents bottlenecks to be lifted to allow large-scale use of biocomposites.

RÉSUMÉ :

Dans le domaine des matériaux composites à matrice organique, l’usage des fibres végétales comme renfort se développe. Ces matériaux sont ici nommés biocomposites. Ce type de renfort présente des spécificités telles qu’une origine renouvelable, des longueurs modestes qui dépendent de la variété, un assemblage sous forme de faisceaux cohésifs au sein des plantes, une composition et une organisation interne complexes. Une fibre est un empilement de parois et de couches renforcées par des fibrilles de cellulose orientées principalement dans une direction nommé angle microfibrillaire. Comparé aux fibres de synthèse, la « fabrication des fibres » est très différente puisqu’elle se réalise lors de leur croissance des plantes. Ainsi de nombreux secteurs interviennent dans le cycle de production d’une structure en biocomposites tels que : agriculture, teillage, textile, polymère et plasturgie. À partir de ces particularités, cet article présente des verrous à lever pour permettre une utilisation à grande échelle des biocomposites.

Keywords: 

natural fibres, polymers, composite materials, bottleneck

Mots-clés :

fibres végétales, polymères, matériaux composites, verrous

1. Introduction

L’usage des fibres végétales comme renfort de polymères se développe aujourd’hui compte tenu de leurs spécificités et souvent le souhait de s’inscrire dans une réduction des impacts sur l’environnement (ce qui n’est pas systématique). Ces matériaux composites (biocomposites dans la suite du texte) peuvent, en théorie, atteindre demain des parts de marchés beaucoup plus importantes. Leur développement demande une démarche d’innovation, ce qui impose des approches pluriculturelle, pluridisciplinaire, transdisciplinaire, multi-échelle et pluri-partenariale. Le terme transdisciplinaire signifie que les SHS (sciences humaines et sociales) ont un rôle majeur à jouer pour cette problématique à fort enjeu sociétal. L’aspect pluri-partenarial illustre le fait que de nombreux domaines de connaissance sont nécessaires provenant du monde académique, mais aussi des mondes agricole et industriel. Il est important de souligner l’importance des savoir-faire dans le domaine des matériaux composites.

Les biocomposites ont des particularités, mais ce sont d’abord des matériaux composites. Ils doivent évoluer pour répondre aux mêmes challenges que les matériaux composites renforcés par des fibres de synthèse, par exemple une meilleure connaissance des mécanismes de transfert de charge entre fibre et matrice et leur évolution dans le temps, l’amélioration de la fiabilité des structures dans le temps, la maîtrise des flux de matière et d’énergie sur toute la durée de vie d’un produit (la gestion de ces matières en fin de vie reste un enjeu majeur par exemple), l’optimisation des constituants, le développement de nouvelles méthodes de conception et de transformation, le suivi de la « santé matière » d’une structure pendant toute la durée d’usage et l’intégration de nouvelles fonctions.

Cet article présente des verrous, au sens large, à lever pour le développement des biocomposites à plus grande échelle. Les spécificités des fibres végétales sont la base du raisonnement. Ce texte n’a pas la prétention d’être complet. Si certains thèmes sont présentés, la longueur de ce texte ne permet pas de les développer. Ils seront donc juste illustrés. Pour faciliter la compréhension de différentes notions, le lin et le chanvre seront pris le plus souvent en exemples, car ces fibres sont cultivées et disponibles en France.

2. Quelques Verrous

2.1 Justifier l’usage des fibres végétales comme renfort

L’usage des fibres végétales n’est pas simplement une opération de substitution, celles-ci ont des spécificités qu’il est intéressant de valoriser comme : une origine renouvelable, elles sont durables et biodégradables, les performances mécaniques spécifiques de certaines fibres sont importantes, elles demandent peu d’énergie pour être produites (en comparaison avec les fibres de verre), leur incinération permet de récupérer de l’énergie...

Les industriels exploitent ces spécificités et utilisent les biocomposites avec différents arguments, car ils permettent :

  • La mise en place d’une démarche d’éco-conception avec l’objectif de réduire les impacts sur l’environnement [1-4].
  • Des gains de masse dans certains cas,
  • Différents scénarios en fin d’usage et en fin de vie : recyclage par broyage mécanique si la matrice est de type thermoplastique [5-6] valorisation énergétique, biocompostage si la matrice le permet et qu’aucun élément écotoxique n’a été introduit dans la formulation.
  • La possibilité de donner une image ou une finition naturelle aux pièces.
  • La réduction des impacts sur la santé humaine des opérateurs.
  • De se préparer à la mise en place d’une législation avec des contraintes environnementales (Reach par ex.).
  • De donner une valeur stratégique à des produits…

Donner une image verte à un produit en utilisant des fibres végétales (green washing) n’est pas un argument très durable. Il y a donc des logiques à l’utilisation de ce type de renfort et non un simple effet de mode. Par ailleurs, l’usage de constituants biobasés n’est pas synonyme systématiquement d’une réduction des impacts sur l’environnement. Pour démontrer ce point, une analyse du cycle de vie doit être réalisée. L’utilisation de la biomasse impose aussi de connaître les règles et les contraintes du monde agricole. En France, une plante à fibres (lin et chanvre) s’inscrit dans un système de rotation des cultures et l’ensemble des coproduits (fibres, graines, bois) doivent être valorisés. Par ailleurs, sa culture doit être au moins aussi rémunératrice qu’une céréale dont les cours changent au cours du temps. Il est aussi possible de s’interroger sur le volume des ressources disponibles chaque année (pour anticiper), la compétition possible avec la production alimentaire et l’évolution des surfaces agricoles utiles (SAU). La perte de terres agricoles (environ 70 000 hectares perdus chaque année en France) et leur possible épuisement si les pratiques n’évoluent pas sont des sujets inquiétants [7-8]. L’épuisement de certaines ressources naturelles (matières premières minérales et combustibles fossiles par exemple) est aussi un sujet d’actualité. L’usage de ressources renouvelables issues de l’agriculture est une réponse partielle. Sur ce sujet, deux rapports du Conseil Économique Social et Environnemental (CESER) sont consultables [9-10].

2.2 Un langage commun

Les échanges entre tous les acteurs (académiques, industriels et le monde agricole au sens large) doivent être facilités, ceci impose un langage commun, mais il existe des sources d’imprécision. Par exemple, dans une plante, les fibres élémentaires (longueur moyenne de 35 mm pour le lin [11] sont assemblées sous forme de faisceaux, ceux-ci sont plus ou moins divisés suite aux étapes de rouissage et d’extraction mécanique. Il est donc important de différencier la fibre élémentaire d’un faisceau, ce dernier est souvent nommé « fibre technique » ce qui porte à confusion. Par ailleurs, pour le lin on récupère en sortie de teillage des filasses (appelées « fibres longues ») et des étoupes (appelées « fibres courtes »). Les filasses sont un assemblage de faisceaux bien orientés dont la longueur est proche de celle de la plante, alors que les étoupes sont constituées de faisceaux de moindres longueurs et plus ou moins désorientées. Les propriétés mécaniques des fibres élémentaires sont identiques [12] seule la présentation diffère. Pour des applications textiles, les filasses sont plus faciles à travailler, car bien orientées; il s’agit donc d’une matière noble à plus forte valeur commerciale.

Beaucoup d’articles de la littérature scientifique présentent les propriétés mécaniques de fibres végétales, mais malheureusement de nombreuses données ne sont pas utilisables pour estimer les performances d’un pli. Ceci s’explique, entre autres, par l’origine des données. Par exemple, dans des revues à fort indice d’impact [13-14] la rigidité des fibres de lin est de 27.4 GPa, valeur provenant d’une publication sur les fibres de jute [15] La rigidité moyenne mesurée en traction sur des fibres élémentaires de lin (différents de lots de fibres cultivées en France) est de 52.5 GPa [16-17] valeur proche de celle estimée (E= 49.9 GPa) par une démarche inverse sur des différents plis unidirectionnels [18]. Par ailleurs, dans de nombreux cas, il manque des informations sur la variété, le lieu et les conditions de croissance, les traitements imposés, les conditions de caractérisation (protocole, fibre élémentaire ou non, volume sollicité, géométrie, fraction d’eau absorbée dans les parois, température, vitesse de sollicitation…) et l’analyse des résultats. La représentativité et la disponibilité du lot étudié ne sont souvent pas aussi précisées. En complément, le comportement mécanique d’une fibre végétale est souvent non linéaire, ce qui complique l’analyse et les comparaisons.

En simplifiant, traditionnellement, les fibres de lin sont principalement utilisées dans l’industrie textile et les fibres de chanvre dans le domaine de la papeterie. Chacun de ces secteurs dispose de méthodes et de normes pour caractériser et contrôler les matières premières. Ces industriels ont aussi rédigé des cahiers des charges précisant les performances attendues pour leurs matières premières. Pour un usage des fibres végétales dans le domaine de la plasturgie peu de normes spécifiques et de cahiers des charges existent. On peut néanmoins citer les normes sur la caractérisation en traction des fibres et faisceaux de lin [18-20] (Afnor NF T 25-501-1) (Afnor NF T 25-501-2) (Afnor NF T 25-501-3).

2.3 S’intéresser aux plantes

Au-delà d’aspects très techniques, l’usage de fibres végétales comme renfort impose de disposer d’une culture scientifique et technique élargie. Cette approche pluridisciplinaire est aussi un verrou. En effet, il existe de nombreuses plantes à fibres [19-20] mais pour un usage comme renfort de polymère, toutes ne présentent pas le même intérêt. Les fibres les plus intéressantes ont un rôle structurel (il s’agit de tissus de soutien généralement) dans la plante. Il est donc important de s’intéresser aux plantes, à leur anatomie et à l’agronomie. Une terre agricole n’est pas un simple support de culture, elle est un milieu vivant. Une graine a un patrimoine génétique et différents paramètres (météo, nature du sol, distances entre deux plantes, fertilisation…) vont influencer le développement des plantes. Par la suite, elles subissent différents traitements (récolte, rouissage dans le cas du lin, teillage, peignage…) pour faciliter l’extraction des fibres et la division des faisceaux. Toutes les étapes vont influencer les propriétés des parois [21] et il est nécessaire de les connaître.

Les variétés cultivées évoluent au cours du temps pour, principalement augmenter les rendements en fibres, être moins tolérantes aux maladies et améliorer la tenue à la verse. Par ailleurs, dans le contexte de changement climatique, des réflexions et travaux sont en cours pour mettre au point des stratégies pour demain. Les thèmes sont par exemple les variétés à cultiver, l’évolution des zones de cultures, les techniques de rouissage, les pratiques agricoles. À titre d’illustration, le lin est traditionnellement semé au printemps (on parle de variétés de lin de printemps qui représentent aujourd’hui la majorité des cultures en Europe). Mais, depuis plusieurs années, des lins d’hiver sont aussi cultivés. C’est peut-être une réponse pour adapter les conditions de croissance au climat et limiter les conséquences pour les plantes des périodes de stress hydrique.

L’origine du prélèvement des fibres dans les plantes (tiges, feuille, fruit, tronc) et leur fonction (tenue mécanique et/ou conduction) permet de comprendre l’origine de leurs propriétés mécaniques. Par exemple, pour des fibres prélevées dans des tiges (lin, chanvre, ortie, jute, Kenaf, ramie…), les fibres ont une fonction de soutien et sont situées à l’extérieur des tiges. Par ailleurs, les plantes sont des structures naturelles plus ou moins élancées. L’élancement étant le rapport entre la hauteur et le diamètre de la tige (ou du tronc). Cette grandeur a été étudiée pour les arbres et les herbacées [22-23] Le lin cultivé avec une densité de plantes de 1800/m2 [24] présente un élancement de 300-350 [25] ce qui est remarquable pour le monde végétal. Cette performance s’explique par l’organisation des tiges (couronne de tissus de soutien à l’extérieur), le nombre de fibres et leurs propriétés mécaniques (plus particulièrement leur rigidité). En complément, le rapport d’aspect des fibres élémentaires est un paramètre important pour leur usage comme renfort de polymères. La longueur d’une fibre élémentaire de lin est importante pour le monde végétal (35 mm en moyenne dans la partie centrale de la tige [11] elle est liée au développement intrusif des cellules [26-27] puis à des mécanismes de remplissage et de réorganisation des parois [28] La connaissance des plantes est donc utile pour analyser l’origine des propriétés mécaniques des fibres. Par ailleurs les tiges sont elles-mêmes des structures composites optimisées, elles sont à ce titre des modèles d’organisation et leur étude est riche d’enseignement [29] Les termes de biomimétisme et de bioinspiration sont souvent utilisés dans ce cadre.

2.4 La reproductibilité des propriétés des fibres végétales

Souvent les plasturgistes s’interrogent sur la reproductibilité, d’une année sur l’autre, des propriétés mécaniques des fibres végétales. Cette crainte est justifiée par l’influence de la météo sur la production agricole. On remarque que les mêmes personnes ne s’inquiètent d’autres produits utilisant ce type de ressource, par exemple lors de l’achat d’une chemise en lin ou d’une baguette de pain. Ces secteurs industriels (textile et alimentation) ont mis en place des contrôles qualité et gèrent les bonnes et mauvaises récoltes. Par ailleurs, la dispersion des propriétés mécaniques est aussi abordée en oubliant que les fibres de synthèse présentent elles aussi des dispersions, par exemple les résistances en traction des fibres de verre [30-31] et de carbone dépendent de la quantité et de la distribution de défauts développées lors de leur fabrication.

Pour les fibres végétales de nombreux paramètres sont à prendre en compte : la plante (espèce, variété, patrimoine génétique, qualité des semences…), les conditions de croissance (caractéristiques physico-chimique et biologique du sol, structure du sol, organisation des plantes, pluie, température, longueur du jour, soleil, vent, maladies et autres agressions…), les pratiques agricoles (travail du sol, organisation des semis, date, méthode et densité), fertilisation, contrôle des adventices,  maladies, insectes, date d’arrachage (contrôlé par la « somme des températures » dans le cas du lin), fanage, conditions de rouissage, humidité lors de l’enroulage, stockage des plantes, extraction et affinage mécanique des fibres (teillage, peignage, cardage…) et stockage. Certains de ces paramètres sont facilement contrôlables, d’autres non. Il serait intéressant de s’interroger sur l’influence de chacun, mais ceci ne peut être détaillé dans ce texte, néanmoins le sujet de la reproductibilité des propriétés a été abordé dans une publication [32] pour une variété (Marylin) cultivée quatre années de suite (2009-2011) dans la même zone géographique (plateau du Neubourg) sur des parcelles proches. Sur les quatre années, deux étaient normales, une pluvieuse et une autre avec un manque de pluie. L'analyse statistique a montré que les propriétés de traction moyennes des fibres étaient relativement constantes malgré l'année de culture. En complément, les données biochimiques ont mis en évidence une constance du pourcentage de résidus cellulosiques (environ 84 %). Rappelons que les fibrilles de cellulose jouent le rôle de renforts de parois végétales.

2.5 Le développement de préformes spécifiques

Les fibres élémentaires des plantes, utilisées comme renfort, présentent deux spécificités importantes : elles sont discontinues et assemblées sous forme de faisceaux. La longueur des fibres élémentaires est importante (Lf ˃ 20 mm) pour le lin, le chanvre et la ramie, mais courte pour d’autres comme le sisal, le kenaf et le jute [17]. Lorsque les fibres élémentaires sont très courtes, on manipule uniquement des faisceaux. Pour faciliter l’extraction des fibres des tiges, une opération de déconstruction est souvent utilisée (le rouissage) pour altérer les lamelles mitoyennes assurant la cohésion. Des opérations mécaniques (teillage, peignage, cardage…) permettent, entre autres, de récupérer les faisceaux de fibres sur la hauteur de la plante, de compléter la division et le nettoyage des faisceaux et de constituer un ruban utilisable en filature.

Lors de l’opération de filature, l’objectif est d’individualiser les fibres et de les torsader, pour disposer d’un fil ayant une bonne résistance en traction. Dans un fil sollicité en traction, le transfert de charge entre les fibres est assuré par des frottements. Par la suite, le fil est tissé. Un tissu de fibres végétales à usage textile peut être utilisé comme renfort de matériaux composites, mais la présentation des fibres n’est pas optimale. En effet, dans un composite le transfert de charge entre les fibres est assuré par l’interface et la matrice Par ailleurs, l’usage de fils torsadés conduit à une méso-structure des plis très hétérogène, des difficultés de mouillage à cœur des fils et la désorientation locale de fibres. Pour mémoire celles-ci sont très anisotropes. La logique est donc d’imaginer comment présenter les fibres végétales (sous forme de non-tissé, mat, unidirectionnel, taffetas, sergé, bibiais…) en tenant compte de leurs spécificités et à un coût acceptable.

Pour la réalisation de non-tissés, les techniques d’aiguilletage/cardage sont aujourd’hui bien maîtrisées, ce qui permet de répondre aux attentes de l’automobile. Pour les autres présentations qui demandent de contrôler l’orientation du renfort (localement et globalement) les difficultés sont de manipuler des fibres élémentaires (de longueur modeste) et des faisceaux, d’éviter les torsions, d’assembler au moins temporairement les fibres pour permettre la manipulation du renfort avant imprégnation et de maîtriser sa perméabilité. Pour le lin un article de revue récent [33] reprend toutes les étapes entre les fibres et les préformes.

Le prix de certains demi-produits est aujourd’hui encore un frein majeur à leur diffusion à grande échelle, mais ce prix dépend des volumes consommés et les volumes consommés dépendent des prix, ce qui complique les développements et investissements.

2.6 Une santé matière optimum après transformation

La transformation des matériaux composites est une étape très importante puisqu’elle conditionnent leurs propriétés. Pour les fibres de synthèse (avec des matrices thermodurcissables ou thermoplastiques), ce sujet fait toujours l’objet de travaux de recherche pour, entre autres, comprendre et maîtriser les mécanismes en jeux, modéliser, optimiser et développer de nouvelles technologies. Les propriétés mécaniques d’un pli en matériau composite dépendent de nombreux facteurs tels que : les propriétés des constituants (fibres et matrice), l’état de réticulation (thermodurcissable) ou de cristallisation (thermoplastique) de la matrice, la qualité de la liaison fibre/matrice, la maîtrise de l’orientation des fibres, la présence de porosités ou d’inclusions, la présence de charges.

Pour les biocomposites, différentes échelles d’observation sont à prendre en compte : l’empilement, le pli, la meso-structure (ce point va être développé par la suite), la microstructure et la nano-structure. En effet, les fibres végétales sont elles-mêmes constituées d’empilement de parois et de couches renforcées par des fibrilles de cellulose.

La méso-structure (échelle entre quelques microns au millimètre) [34] est aussi à prendre compte, elle correspond à l’organisation interne des plis. Les paramètres sont, par exemple, la répartition des fibres dans le pli, l’orientation locale des fibres, les extrémités de fibres (dans le cas d’une discontinuité du renfort ou d’une rupture), la géométrie et la répartition des porosités, et les contraintes résiduelles. Dans le cas des fibres végétales, il est aussi nécessaire de tenir compte de la présence de fibres élémentaires et de faisceaux. Cette méso-structure influence fortement les propriétés à rupture ou l’évolution des propriétés dans le temps. Par exemple, pour un pli unidirectionnel lin/epoxy, Coroller et al. [30] illustre l’influence de la division des faisceaux de fibres de lin sur la contrainte à rupture longitudinale. Dans cet article, une meilleure distribution des fibres conduit à une résistance à rupture en traction supérieure. En complément pour un même lot de fibres de lin et une matrice époxy, mais une mise en œuvre dans différents laboratoires, on constate une dispersion notable des propriétés mécaniques de plis unidirectionnels [35] Ce dernier exemple illustre l’importance de cette notion de méso-structure conditionnée, entre autres, par la mise en œuvre.

Dans la littérature l’influence de différents paramètres sur les propriétés mécaniques est abordée. L’analyse d’articles met en évidence des paramètres influençant la méso-structure des plis tels que : la présence de fibres et de faisceaux [30] une répartition non homogène des fibres lors de l’usage de fils torsadés [36-37] et des difficultés d’imprégnation avec de fort taux de porosités. En effet, des fractions de porosités très importantes ont ainsi pu être observées, par exemple entre 7.1 et 19 % [38] et de 4 à 33 % [39] malgré des pressions de compactage importantes. De telles fractions de porosités sont rarement acceptables. Nous n’analyserons pas ici le degré d’optimisation (maturité technologique) des renforts utilisés, leur compatibilité avec la matrice utilisée, ni la maîtrise du procédé de transformation. Évidemment, il est conseillé d’apprendre à transformer correctement un composite renforcé par des fibres de synthèse avant de s’intéresser aux biocomposites, les données disponibles sur ce sujet étant plus réduite.

2.7 Autres verrous

La sélection d’une matrice optimale n’est pas simple pour ce type de renfort. En effet elle dépend, entre autres, du procédé de transformation (mouillage, écoulement…), des cadences souhaitées, des performances attendues (adhérence, transfert de charge entre fibres, propriétés thermomécaniques, tenue dans le temps en environnement sévère…) mais aussi du souhait d’adopter (ou non) une démarche d’éco-conception, c’est-à-dire de réduction des impacts sur l’environnement. L’usage d’un polymère bio-basé peut permettre un gain stratégique sur ce sujet mais il est logique de s’interroger sur la cohérence de la sélection. En plus du choix des constituants et du process, la question du recyclage de la matière en fin d’usage de la pièce (cas des matrices thermoplastiques) et de sa gestion en fin de vie doivent être aussi abordés dès l’étape de conception. C’est d’ailleurs aujourd’hui un des challenges majeurs des matériaux composites à matrice organique et renforcé par des fibres de synthèse. On rappelle que, en l’absence d’un traitement mal approprié, les fibres végétales sont naturellement biodégradables et que cette propriété peut être conservée pour les biocomposites par un choix judicieux de la matrice.

La durée de vie des biocomposites est un autre verrou. Si la tenue en fatigue n’apparaît pas comme une difficulté majeure aujourd’hui [40-41] par contre la tenue en environnement sévère n’est que partiellement maîtrisée. Ce sujet est complexe, car de nombreux paramètres interviennent tels que : la tendance hydrophile des fibres végétales (qui dépend de la composition des parois, mais elle est plus ou moins modifiée par des traitements et par le cycle de transformation), la présence d’un lumen (dont la dimension est fonction de la variété et du degré de maturité des cellules), la présence de faisceaux (dont les lamelles mitoyennes sont plus ou moins endommagées), la qualité de la liaison renfort/matrice, la présence de protections (gelcoat par exemple) et la méso-structure du pli. Pour étudier l’influence d’un vieillissement sur les propriétés d’un empilement pour en ressortir des informations précises, il est préférable que la « santé matière initiale » du composite soit bonne avec, entre autres, un faible taux de porosités.

La modélisation et la simulation du comportement mécanique des fibres, faisceaux et des biocomposites sont des sujets à approfondir. Le comportement mécanique en traction des fibres végétales est complexe et non linéaire. Il est influencé par différents paramètres tels que la fraction absorbée ou un traitement thermique. A titre d’illustration, sur le comportement de fibres élémentaires de lin en traction, le lecteur pourra consulter les références suivantes [42-45] et sur les fibres de chanvre [46] Ce comportement s’explique par la composition, la structure interne (empilement de parois et de couches) et les orientations des fibrilles de cellulose (l’orientation, comme la composition, évolue dans l’épaisseur d’une fibre). La paroi S2 de la paroi secondaire représente souvent plus de 80 % de la section d’une fibre, dans cette zone l’orientation des fibrilles est nommée angle micro-fibrillaire (MFA, l’angle initial dépend de l’espèce). Cet angle évolue lors d’une sollicitation mécanique de traction [42] Ceci explique la rotation d’une fibre élémentaire lors d’une sollicitation de traction, si les conditions aux limites le permettent [47]. La compréhension du comportement impose aussi de tenir compte des nombreuses interfaces présentes dans une fibre [48] c’est-à-dire nécessite une approche multi-échelles. Dans le cas d’un pli unidirectionnel, la non-linéarité de comportement des fibres élémentaires, leur géométrie (renfort discontinu), la présence de faisceaux et les mécanismes d’endommagement à différentes échelles expliquent, entre autres, sa réaction non-linéaire en traction [24] et en compression [49-50].

3. Bilan

Cet article présente et illustre quelques verrous, il n’a pas la prétention d’être complet. Ce n’est qu’un regard présenté dans un texte court. Les biocomposites sont d’abord des matériaux composites, il est simplement nécessaire de tenir compte en plus des spécificités des parois végétales.

S’intéresser aux fibres végétales doit nous conduire à observer plus attentivement les plantes, les écosystèmes et plus largement la nature. Les plantes à fibres sont utilisées par l’homme depuis des millénaires, elles font partie plus ou moins consciemment de notre culture et de notre vocabulaire (les mots linge ou linceul par exemple). C’est ce qu’illustre la citation de Lamartine : « Ce n’est pas seulement du blé qui sort de la terre labourée, c’est une civilisation toute entière ». Il est intéressant de prendre un peu de recul. En effet aujourd’hui les premières nécessités pour l’humanité (classement par ordre d’importance) sont l’eau, l’alimentation, l’énergie et les matériaux. Les relations entre ces quatre sujets et l’agriculture, d’aujourd’hui et demain, sont évidentes, et ceci dans un contexte délicat. Juste pour mémoire, nous évoluons avec des thématiques préoccupantes, par exemple l’épuisement de ressources naturelles, le changement climatique, la dégradation des écosystèmes, la perte de biodiversité et l’imprégnation chimique de la planète. Par ailleurs nous ne pouvons que constater une trop lente prise de conscience et nos faibles réactions. Dans ce contexte, l’usage de fibres végétales comme renfort est-il : de la peinture verte (greenwashing), une simple substitution pour des raisons écoomiques ou d’opportunité, un effet de mode, une démarche stratégique pour s’adapter demain à une législation plus contraignante, le souhait d’utiliser des ressources renouvelables, la volonté de réduire les impacts sur l’environnement ou plus largement une autre manière de penser (d’éco-concevoir un produit ou un service) dans une logique de développement soutenable ?

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